Monique s'évade
Résumé
Une nuit, j'ai reçu un appel de ma mère. Elle me disait au téléphone que l'homme avec qui elle vivait était ivre et qu'il l'insultait. Cela faisait plusieurs années que la même scène se reproduisait : cet homme buvait et une fois sous l'influence de l'alcool il l'attaquait avec des mots d'une violence extrême. Elle qui avait quitté mon père quelques années plus tôt pour échapper à l'enfermement domestique se retrouvait à nouveau piégée. Elle me l'avait caché pour ne pas "m'inquiéter" mais cette nuit-là était celle de trop. Je lui ai conseillé de partir, sans attendre. Mais comment vivre, et où, sans argent, sans diplômes, sans permis de conduire, parce qu'on a passé sa vie à élever des enfants et à subir la brutalité masculine ? Ce livre est le récit d'une renaissance...
Notre avis
10 ans après son premier roman choc En finir avec Eddy Belleguelle, Edouard Louis revient avec Monique s'évade où il s'attelle cette fois à raconter la fuite de sa mère. Celle-ci, après avoir quitté le père de l'écrivain, quitte son troisième mari qu'elle pensait pourtant être "le bon" et qui fut celui qui lui a offert une vie à Paris qu'elle n'avait jamais pensé vivre. Cet homme alcoolique se révèle violent, méchant et oppressant. Cette histoire qui est celle de tant d'autres femmes, Edouard Louis nous la raconte sans détour et avec une réflexion plus globale sur l'émancipation des femmes pauvres. Car comment prendre son indépendance quand on a pas d'économie pour se loger, pas de diplôme pour travailler, pas de voiture pour fuir, qu'on a jamais vécu seule... ? L'auteur montre tous les obstacles qui empêchent les femmes de fuir une situation où c'est l'homme qui possède tout et s'interroge sur tous les efforts à fournir pour une femme qui veut regagner sa liberté. Une liberté qui a donc un coût financier mais aussi psychologique et social.
Edouard Louis a largement a oeuvré pour aider matériellement sa mère à quitter ce conjoint : stratégies pour la protéger, organisation logistique, achat de denrées alimentaires, déménagement, recherche de logement, achat de meubles...Un dévouement normal mais étonnant quand on se rappelle la virulence du premier roman où le jeune auteur (22 ans à l'époque) vilipendait son milieu d'origine montré comme ignare, homophobe, raciste et violent. Une vive polémique avait alors secoué le monde littéraire et médiatique. C'est là la force de livre et de cet auteur : en dix ans, chacun de ses autres livres ont montré une réelle évolution de sa pensée et de son écriture. Monique s'évade est un texte plus apaisé, plus mature. La tendresse et l'admiration qu'il éprouve pour cette femme de courage étaient difficilement envisageables il y a 10 ans, comme tous les enfants Edouard Louis revient sur ses positions de jeune homme en colère. Le côté très personnel de ce récit est équilibré par une écriture sèche et précise mais aussi par une distance bienvenue qui permet de rendre la réflexion universelle : Monique représente toutes les femmes sous emprise.
La nouvelle figure de proue des transfuges de classe (proche d'Annie Ernaux et Didier Eribon) n'en finit pas de nous époustoufler. Ce roman fait partie d'un cycle qui, a mon sens, mérite d'être lu dans son intégralité (et éventuellement dans l'ordre). Nous avons hâte de lire les prochains texte d'Edouard Louis qui a encore beaucoup a dire sur sa famille et son milieu.