On s’est pris les pieds dans la bobine
... une petite histoire du cinéma burlesque
Le burlesque est un genre cinématographique au comique extravagant, loufoque ou absurde où s’enchaînent gags et farces. Ce comique de situations dont le corps est le vecteur est souvent illustré par des poursuites, des coups, des chutes, des jets de tartes à la crème… Le décalage est également un ingrédient du genre, quand un personnage se retrouve dans un univers qui lui est étranger, qu’il ne comprend pas.
Les origines
La commedia dell'arte et le pantomime sont à l’origine du genre et l’histoire du cinéma a su s’en emparer avec gourmandise dès ses débuts.
C'est ainsi que, bien que constitué d’une seule saynète de quarante seconde, on peut considérer L’arroseur arrosé (Louis Lumière, 1895) comme le film fondateur du genre.
Le muet, l’âge d’or
A partir de 1912, le burlesque entre dans son âge d’or. La période du muet étant propice aux gags visuels, voici qu’apparaissent les grandes figures qui sont restées dans la mémoire collective. C’est l’époque de l’invention du Slapstick et de la création du studio Keystone. Mack Sennett, Fatty, Charlot, Buster Keaton, Harold Lloyd, Laurel et Hardy… ils sont tous là !
Les figures du burlesque
- Max Linder
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Né en 1883 à Saint-Loubès (Gironde), Max Linder est célèbre pour avoir créé le personnage de Max qui entre en scène en 1910 dans le film Les débuts de Max au cinéma (Louis Gasnier et Max Linder, 1910). Il est le premier grand artiste du cinéma burlesque. Avec son haut-de-forme et sa moustache, Linder se met en scène dans des situations originales et inventives. Ces longs métrages Sept ans de malheur et L'étroit mousquetaire sont d’incontestables réussites qui ont inspiré de nombreux successeurs.
- Mack Sennett
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Père fondateur du Slapstick (comédie de coup de bâton), Mack Sennett est né à Danville (Canada) en 1880. Il est le fondateur du célèbre studio Keystone, crée à Hollywood en 1912 et dont les célèbres Keystone Cops sont mis à mal dans les films de la firme. Réalisateur, Mack Sennett lance quatre acteurs majeurs : Roscoe Arbuckle et Charlie Chaplin Mabel Normand et Harry Langdon.
- Mabel Normand
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Actrice, réalisatrice, scénariste et productrice américaine, Mabel Normand (1892-1930) a marqué l’âge d’or du cinéma burlesque. Femme de caractère, elle est actrice et passe rapidement derrière la caméra, d’abord avec Mack Sennett puis seule aux commandes. Elle réalise notamment Charlot garçon de café dans lequel elle tient la vedette avec le jeune Chaplin.
- Roscoe Arbuckle
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Surnommé Fatty Arbuckle en raison de son embonpoint, Roscoe gardera ce pseudonyme pour incarner le personnage qui l’a rendu populaire. Né en 1887, Roscoe Arbuckle entame une carrière artistique dès l’enfance. Chanteur et acteur, il se produit dans des théâtres. Alors qu’il joue en Californie, il est engagé par Mack Sennett au sein de la Keystone Company. Commence alors sa riche carrière cinématographique qui débute avec Fatty et le voleur (Henry Lehrman, 1913) mettant en scène les Keystone Cops.
- Charlie Chaplin
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On ne présente plus Charles Spencer Chaplin (1889-1977) dont le personnage de Charlot est devenu l’emblème du cinéma comique. Artiste de music-hall, Chaplin part en tournée aux Etats-Unis grâce à l’imprésario Fred Karno. Il y reste et obtient son premier rôle dans un film du studio Keystone intitulé Pour gagner sa vie ( Henry Lehrman, 1914). Devenu célèbre, Chaplin cofonde la société United Artist en 1919 qui lui permet de créer en toute liberté. Il devient ainsi scénariste, réalisateur, producteur, compositeur et reste bien sûr l’acteur principal de ses films. De Charlot et le Chronomètre (1914) à La Comtesse de Hong-Kong (1967), le réalisateur Charlie Chaplin aura créé une œuvre majeure dans l’histoire du cinéma.
- Buster Keaton
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Son visage impassible l’a fait surnommer « l'homme qui ne rit jamais ». Né en 1895, Buster Keaton commence sa carrière au Music-hall dès l’âge de cinq ans en compagnie de ses parents. Il a beaucoup tourné avec Roscoe « Fatty » Arbuckle, incarnant le personnage de Malec dans des courts-métrages désopilants. Parmi les longs métrages qu’il a réalisés, il est indispensable de découvrir Le mécano de la « General » (1926). Après un échec sentimental et une période d’alcoolisme qui l’éloigne des studios, il revient au Music-hall et, en tant qu’acteur, il sera engagé par deux grands cinéastes qui n’ont pas oublié ce qu’ils lui doivent. C’est ainsi que nous le verrons dans Boulevard du crépuscule (Billy Wilder, 1950) et que son confrère Charlie Chaplin lui offrira un rôle dans Les feux de la rampe en 1952.
- Harold Lloyd
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On le connaît tous par l’image qu’il a laissé de lui, celle d’un homme suspendu dans le vide, accroché aux aiguilles de l’horloge d’un gratte-ciel à Los Angeles (Monte là-dessus !, Fred C. Newmeyer et Sam Taylor, 1923). Affublé de lunettes et d’un canotier, Harold Lloyd (1893-1971) est timide mais néanmoins cascadeur. Il jouera dans de nombreux films muets mais aussi parlants jusqu’en 1947.
- Charley Chase
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Charley Chase a commencé chez Mack Sennett en tant qu’acteur, interprétant l’un des Keystone Cops. A partir de 1924, il travaille avec Leo McCarey. Avec sa moustache délicate, Chase interprète un personnage de gentleman à l'apparence tant malicieuse qu’étonnée, constamment impliqué dans des jeux de tromperie et de cache-cache amoureux.
- Harry Langdon
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Voici un autre acteur monté jeune sur les planches du Music-hall. A 10 ans, Harry Langdon interprète des rôles comiques qui l’occupent de nombreuses années. Repéré par Mack Sennett à près de quarante ans, il entame une courte carrière cinématographique à succès avant de tomber quasiment dans l’oubli. Durant cet âge d’or, il travaille sur trois films importants, Plein les bottes (Harry Edwards, 1926), ainsi que L'athlète incomplet (1926) et Sa dernière culotte (1927), tous deux réalisés par Frank Capra.
- Laurel et Hardy
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L’un est anglais (Stan Laurel), l’autre américain (Oliver Hardy). Ensemble, ils inventent un duo comique en 1927 qui, durant 25 ans, sera la vedette d’une centaine de films mettant en scène le retournement des rapports de force entre le grand et le petit. Tartes à la crème, objets pulvérisés, accidents rocambolesques comptent parmi les réjouissances de leurs courts-métrages.
Un moment de bascule, le passage au parlant
Dans l’univers du burlesque, le passage du muet au parlant est un coup de tonnerre. L’essence de l’humour burlesque étant basé sur le comique de situation, les artistes ont du mal à s’adapter à la situation. Certains, tels que Buster Keaton ou Harold Lloyd y verront la fin de leur carrière. Laurel et Hardy sauront quant à eux s’adapter et Chaplin réussira sa mue. C’est avec ce tournant qu’une nouvelle génération de comique entre en jeu, à l’image des indispensables Marx Brothers.
- Les Marx Brothers
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Venus du théâtre, les frères Marx (qui était au départ cinq) se retrouvent propulsés à Hollywood sous la forme d’un trio composé de Groucho, Chico et Harpo. Dans des films foutraques aux scénarios fantaisistes, chacun des frères va laisser libre cours à son talent. Les jeux de mots et la répartie de Groucho fussent, tandis que Chico et Harpo nous proposent d’improbables numéros musicaux au piano et à la harpe. Harpo, personnage muet, fait le lien entre les deux époques.
- W.C. Fields
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Très bon jongleur, ce joyeux luron aux allures de clown joue sur son aspect physique (nez proéminent, tenue dépenaillée, hauts-de-forme, fausse moustache). Personnage excentrique, il manie les bons mots avec une voix caractéristique.
- Les trois Stooges
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Sortes d’adolescents attardés affublés de coiffures improbables, les trois Stooges sont les rois de la farce et de la bouffonnerie. Ils manient les baffes avec dextérité mais ils aiment aussi jouer avec les mots.
Une période creuse où certains ont su s’engouffrer
On a vu que le passage au parlant a laissé certains artistes sur le côté, tandis que le genre se réinventait. Mais, peu à peu, le burlesque se fait rare sur les écrans, en tout cas dans le cinéma en prises réelles. Car le dessin animé va se lancer à fond dans le sujet, reprenant à l’extrême ses thèmes de prédilection. Tex Avery, William Hanna et Joseph Barbera, Chuck Jones vont ainsi faire rire des générations entières. En Italie, un genre à part entière va voir le jour : la comédie à l’italienne. A partir des années 1940 ces films sauront faire la part belle aux situations burlesques grâce au talent d’acteurs hauts en couleurs.
Le renouveau dans la continuité
A partir des années 50, l’industrie du burlesque ayant disparu depuis longtemps, une galerie de personnages inspirés par les codes du genre va émailler l’histoire du cinéma. Encore aujourd’hui, des créateurs ont le désir de faire perdurer le comique de situation pour notre plus grand plaisir.
De nouveaux personnages
- Jacques Tati
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Créateur du personnage de Monsieur Hulot, Tati, comme ses prédécesseurs, vient du music-hall. Après quelques courts-métrages dont il restera un militant du format, il réalise en 1949 un premier long intitulé Jour de fête dans lequel il ironise sur la modernité comme déclencheur de séquences burlesques. Après ce film, Jacques Tati, à travers le personnage de Hulot, va intégrer les ingrédients du muet dans ses films parlants. Il devient un orfèvre des effets sonores et joue sur l’incommunicabilité et les fractures entre les mondes moderne et ancien.
- Pierre Etaix
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Artiste pluridisciplinaire, Pierre Etaix s'inscrit dans le prolongement des grands maîtres du slapstick. Ami avec Jerry Lewis, il a travaillé avec Jacques Tati (il a été assistant-réalisateur sur Mon oncle), qui l’a grandement influencé par son art.
- Jerry Lewis
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Dans les années 40, il s’est fait connaître en duo avec l’acteur et chanteur Dean Martin, donnant la réplique au crooner en incarnant un personnage burlesque. Jouant de sa voix et de son visage, Jerry Lewis invente un personnage proche de l’univers du cartoon. Au cinéma, il incarne des rôles improbables et, en passant derrière la caméra, il invente un nouveau genre dans lequel un idiot est le déclencheur d’un grand nombre de gags.
- Luc Moullet
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Cinéphile dès son plus jeune âge, ayant débuté comme critique au Cahiers du cinéma en 1956, il est devenu par la suite le cinéaste burlesque de la Nouvelle vague. Du court au long métrage, Luc Moullet a su observer l’absurde et le mettre en scène. Des films comme Barres ou Essai d’ouverture montrent bien l’imagination du cinéaste.
- Peter Sellers
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Connu d’abord pour avoir incarné le personnage de Jacques Clouseau dans la série de La Panthère rose, il a marqué les esprits avec ses rôles dans Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964). Aimant jouer avec les accents et les accoutrements, Peter Sellers est un spécialiste du gag et de la catastrophe.
- Woody Allen
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On connaît le cinéaste et ses bon mots, héritier de Groucho Marx, le spécialiste du couple à l’inspiration bergmanienne. Mais se souvient-on des débuts du réalisateur qui se donnait des rôles de maladroit, de distrait dans la droite lignée de l’âge d’or du burlesque ?
- Mel Brooks
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Acteur, réalisateur, scénariste, compositeur, Mel Brooks a pour domaine de prédilection les parodies. Il fait appel au burlesque pour plusieurs scènes de ses comédies tels que Le shérif est en prison (1974), avec bataille de tartes à la crème, La Dernière Folie de Mel Brooks (1976), dans laquelle le Slapstick est de retour, Sacré Robin des Bois (1993), Dracula, mort et heureux de l'être (1995).
- Louis de Funès
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On ne présente plus le roi de la comédie des années 60. Bien qu’arrivé sur le tard au cinéma, il a su inventer un personnage de guignol colérique qui a conquis son public. Avant Jim Carrey, Louis de Funès s’est amusé à jouer avec de nombreuses mimiques et expressions faciales.
- Pierre Richard
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Pierre Richard est bien connu pour ses rôles de maladroit, de distrait, de timide dans le cinéma populaire des années 70. Les personnages qu’il incarne sont le plus souvent assortis d’un compagnon radicalement opposé, ce qui permet d’en faire ressortir le côté décalé. L’acteur a aussi réalisé des films à caractères sociaux, ancrés dans son époque, sans jamais laisser tomber les gags.
- Monty Phyton
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Autres spécialistes de la parodie, mais cette fois-ci outre-Manche, les Monty Phyton ont fait leurs armes au théâtre et à la télévision. Ils ont ensuite créé des films ou le non-sens et de rigueur. Quand l’absurde se mêle au burlesque, ça donne un cocktail détonant.
- ZAZ (Zucker, Abrahams et Zucker)
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On découvre l’univers déjanté du trio Zucker-Abrahams-Zucker avec Hamburger film sandwich (John Landis, 1977). Après cet essai en tant que scénaristes, les voilà derrière la caméra pour proposer des films complètements délirants, pleins de nonsense, relançant le genre de la comédie avec tout ce qu’il faut de burlesque.
- Jackie Chan
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Les amateurs d’arts martiaux connaissent le jeune Jackie qui s’est illustré dans d’excellents films de kung-fu au cours de années 70. Mais ensuite, l’acteur s’oriente vers un mélange des genres en intégrant des ingrédients issus de la comédie dans ses films d’action. Les séries Police Story et Rush Hour sont de bons exemples dans lesquels l’acteur utilise son corps pour offrir des séquences de burlesque martial.
- Michael Hui
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Inspiré par les grands comiques américains de l'époque du muet, l’acteur et réalisateur hongkongais Michael Hui a commencé lui aussi à la télévision en compagnie de ses frères (Hui Brothers Show) avant d’amplifier son succès au cinéma. Il a tourné de nombreux films ou l’absurde, le rythme, le délire et la légèreté de la musique apportent une touche originale dans la comédie. Dans le classique Mr. Boo détective privé, la scène de combat dans la cuisine est particulièrement représentative.
- Jim Carrey
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Jim Carrey a débuté dans les cabarets de Toronto avant de s’installer aux Etats-Unis où il entame une carrière au cinéma. C’est le film The Mask qui le propulse sur le devant de la scène grâce à son incroyable jeu de mimiques et la déformation numérique de son corps. Son personnage se situe en le réel et le cartoon, et il continuera d’explorer les possibilités physiques de l’acteur dans des comédies déjantées.
- Rowan Atkinson
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Souvent confondu avec son personnage de Mr. Bean, Rowan Atkinson renoue, à travers son plus célèbre rôle, avec la période du muet. En effet, Mr. Bean est surtout un corps qui se retrouve placé dans des situations désopilantes offrant un comique de situation des plus redoutable. Mais Atkinson s’est aussi illustré dans la parodie avec la série des Johnny English dans laquelle il incarne un agent des services secrets britanniques des plus maladroits.
- Les frères Farrelly
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Le burlesque en version potache, c’est la marque de fabrique de Bobby et Peter Farrelly. Ils s’entourent de stars de talents pour réaliser des films sans tabous regorgeant d’idées et de séquences foldingues. Ils ont rendu hommage en 2012 à des artistes qui les ont grandement influencés, les Trois Stooges.
D’autres instants burlesques sont à glaner dans bien des films, de la série des Austin Powers aux Scary Movie, chez Elia Suleiman, Fiona Gordon et Dominique Abel, Sacha Baron Cohen, Quentin Dupieux…
